De temps à autres, certains enchaînements d'évènements se produisent et vous rappellent que, non, tout ne se passe pas toujours comme on le voudrait. En général, quand ça m'arrive, ça me donne envie de poser les faits par écrit. Bonne lecture...
La nuit tous les vélos sont gris... et les cyclistes verts !
Pour commencer, situons le contexte :
Il est 19h30, je suis relativement satisfait de mon boulot de la
journée, il est temps de mettre les voiles. Je me change, vérifie mes
phares, me fais la réflexion qu'il va peut-être faire frisquet vu que
la nuit est tombée. Par ailleurs le pont de Suresnes risque d'être
délicat à négocier à cette heure. Pas grave, il suffira de pédaler
pour se réchauffer et au pire il y a le chemin de terre longeant la
route pour éviter la circulation sur le pont.
Bonne nouvelle : il ne fait pas si froid que ça, donc pas besoin de pousser comme une brute pour se réchauffer. Je traverse Suresnes, remonte sur les quais, passe sous le pont de Suresnes en direction de Saint-Cloud avant d'obliquer tout de suite à droite pour arriver sur le trottoir du pont, sens Suresnes->Paris. Nickel, je suis en forme, la balade se présente bien, c'est génial le vélo.
Bon, ceci dit il faut prendre une décision : je suis sur le trottoir du pont de Suresnes et au bout de ce trottoir qui ne se prolonge pas sur l'autre rive il y a au choix, dans le prolongement du trottoir, le chemin de terre (un peu chiant pour mes pneus fins, faut aller doucement là-dessus) ou, en descendant du trottoir, la route elle-même. Il ne doit pas être loin de 19h45, ces malades sont comme d'habitude à 90km/h, mais il y a des accalmies. Bon, aller, on va se la jouer rapide et s'intercaler entre deux vagues.
Là arrêtons-nous deux secondes pour prendre un peu de recul et dresser le tableau. Lionel, tout fringant sur son vélo, s'apprête à sauter du trottoir, monter sur le grand pignon et pousser comme une bête pour arriver au croisement de l'autre côté du pont avant les malades qui ont le pied sur l'accélérateur au feu rouge derrière lui. Il fait nuit, nous sommes au milieu du pont, en son point le plus élevé. A cet endroit, bien qu'on ait une vue dégagée, à cause de l'éblouissement dû aux phares des voitures qui arrivent en montant des deux côtés tout ce qu'il est possible de voir, c'est les positions et vitesses relatives des voitures. En ce qui concerne les détails du relief, les lignes blanches et de manière générale tout ce qui n'est pas révélé pas les lumières rasantes des phares, on peut se brosser. En particulier, ce qu'on ne peut pas voir, c'est le pavé de béton qui manque sur le rebord du trottoir à 15m devant, pile-poil là où Lionel s'apprête à descendre avec un angle totalement incompatible avec l'absence de ce pavé (imaginez une roue avant coincée entre deux pavés autour de laquelle tout le reste pivote et vous aurez une idée du type d'incompatibilité).
Reprenons le cour de notre petite histoire. Bien qu'à 15m le léger
dégradé d'ombre sur le bord du trottoir ne soit pas particulièrement
révélateur, à 5m tout de suite il se révèle dans toute son
urgence. Bon là, il faut bien avouer, j'ai eu un réflexe
malheureux. Je me croyais encore sur mon VTT et pas sur le vélo rapide
avec des pneus fins... Donc au lieu de tourner au dernier moment pour
rester sur le trottoir et tranquillement descendre le petit chemin de
terre, j'y suis allé à fond : j'ai sauté au dessus du trou et ai
atterri sur la route. Tout comptant de ma petite acrobatie,
révélatrice d'une bonne maîtrise du véhicule dont je me sens tout
fier, je continue ma descente... sur 10m. Oui, parce que voyez-vous,
le pneu fin, à l'intérieur, il y a une chambre à air encore plus
fine. Et cette petite chambre à air, elle apprécie modérément les gros
chocs de bourrin qui atterri brutalement après avoir sauté un trottoir
en urgence. Maîtrise du véhicule tu parles... je me retrouve au guidon
d'un vélo au pneu avant crevé (ou plus précisément à la chambre
explosée), en pleine descente du pont de Suresnes, avec les malades de
tout à l'heure qui eux n'avaient pas vraiment de problème d'adhérence
une fois le feu passé au vert...
Après quelques petits coups de freins (arrière, parce qu'il ne faut
pas que déconner dans la vie) prudents et inquiets, je me suis arrêté
et j'ai remonté le bicycle handicapé sur le chemin de terre longeant
la route (oui, oui, celui que j'aurais dû prendre...).
Une crevaison, ça arrive. Pas grave, vous dira-t-on, les taxis et les transports en communs sont faits pour dépanner les gens. Croyez-moi sur parole, ceux qui vous disent ça n'ont jamais pris l'un ou l'autre lorsqu'ils étaient en rade.
Commençons par les taxis (c'est par là que j'ai commencé d'ailleurs). Les taxis ont fait beaucoup de progrès grâce à l'informatique. Vous les appelez et ils se rappellent d'où vous avez embarqué la dernière fois grâce au numéro de téléphone que vous utilisez, vous leur donnez une adresse et ils vous trouvent un véhicule à moins de 5 minutes adapté à votre besoin (pour un cycliste au passage, le break ou le monospace est de rigueur). Finalement, me dis-je, je vais peut-être rentrer moins en sueur que d'habitude (gardez cette petite pensée optimiste en tête pour la suite). Je tombe sur une charmante opératrice au bout de deux petites minutes. Je lui indique ma position (en bas du pont de Suresnes à l'intersection de la Route de Suresnes et de l'Allée du Bord de l'Eau). Hum... là il y a un hic. Oui parce que voyez-vous, l'informatique c'est très efficace, mais ça ne sait faire que ce pour quoi on l'a conçu. Or le programme utilisé par les compagnies de Taxis ne sait faire qu'une seule chose : chercher des taxis près d'une adresse, or une intersection n'est pas une adresse. Maintenant je ne sais pas si vous connaissez le coin, mais il y a un petit détail à connaître : il n'y a pas le moindre bâtiment avec un numéro en vue (et pourtant, c'est assez plat, on voit à bien 500m dans la plupart des directions). L'opératrice, navrée, m'indique donc qu'elle ne peut rien pour moi. Moi, sur le cul, n'en revenant pas, je vérifie auprès d'une autre compagnie : même refrain. Après avoir indiqué à l'opérateur de cette compagnie que je le remerciai chaleureusement de me laisser crever au bord de la route, je me suis mis à la recherche d'une autre solution.
Après une courte inspection des environs, je trouve un arrêt
de bus. L'étude du plan de la ligne m'indique qu'elle permet de
rejoindre une seconde ligne qui passe tout près de chez moi. L'espoir
naît en moi.
C'est à ce moment qu'un bus arrive. Sauvé ! La Régie Autonome des
Transports Parisiens vient à ma rescousse ! Joie, bonheur !
Ami machiniste, béni sois-tu de venir à mon secours en ces contrées
hostiles ! Tout ragaillardi par cette arrivée providentielle,
j'aborde le professionnel du transport de voyageurs courtoisement en
ces termes :
« Ça ne vous dérange pas que je monte mon vélo ? J'ai crevé et je vois qu'il n'y pas beaucoup de monde, je ne devrais pas déranger ».
Je reçois alors la réponse tout aussi poliment :
« Ah, je suis désolé Monsieur, je n'ai pas le droit de prendre les vélos ».
Il avait l'air bien embêté le machiniste en me disant ça. Compatissant, la larme à l'oeil, c'est tout juste s'il ne descendait pas pour me taper sur l'épaule en geste de condoléances. Mais après quelques échanges courtois bien qu'un peu gênés il est quand même reparti avec son bus en me laissant tout seul planté avec mon vélo.
A ce stade, il ne me restait que peu d'options : abandonner le vélo, appeler un ami qui à l'heure en question avait probablement bien mieux à faire ou pousser l'engin devant moi. Comme j'aime bien mes amis et mon vélo, j'ai opté pour la dernière : pousser le vélocipède blessé sur les quelques 5-6 km qui me restaient. Sur le chemin, je croise un cycliste en train de s'affairer près de sa voiture. Je tente ma chance une dernière fois, mais le pauvre ne peut pas grand chose avec sa vieille Super5 dans laquelle il doit déjà rabattre le siège passager pour pouvoir mettre son propre vélo de course. Il me tient bien la jambe 5 minutes quand même pour me dire combien il est désolé. Il arrête même un scooter pour lui demander s'il ne peut pas m'aider (si, si...). Je m'éclipse avant qu'il n'ait l'occasion de demander à un piéton s'il ne peut pas me porter sur son dos avec mon vélo.
Finalement je fais la moitié du tour de l'hippodrome de Longchamp au pas de course en poussant mon vélo (c'est là qu'il faut se rappeler ma pensée optimiste d'il y a quelques paragraphes se rapportant à mes glandes sudoripares). Arrivé dégoulinant boulevard Anatole France, je me demande si ça ne vaut pas le coup de finir en taxi, vu que pour la première fois depuis ma crevaison j'ai enfin une adresse en vue. Finalement, étant donné que j'ai déjà fait la moitié du chemin en courant et que j'ai quelques pensées négatives au sujet des compagnies de Taxis, je peux bien finir à pied la distance me séparant de la douche salvatrice...
Conclusion de cette petite histoire : je m'achète deux chambres à air et un kit pour pouvoir effectuer une opération à pneu ouvert sur le bord de la route...
Lionel, fourbu.